Philippe Sainte Fauste

Artistes et journalistes :  Entre aventure et équilibre

Prenez un homme, Philippe Sainte-Fauste, au départ publivore et papivore. Déjà son nom est évocateur. L'on songe à un flibustier ou à un dandy. Plus prosaïquement, notre homme tenté par l'aventure de l'art avait trouvé son équilibre dans la création d'entreprise. Sans franchir le pas pour ne plus accoler les mots entreprise et création. Prenez ce même homme des années plus tard. Cerné par le désir et la passion, toujours sur le fil du rasoir, il décide de plonger dans l'art.

Avec la même énergie que lorsqu'il voulait inventer la publicité autrement.

Alors peut-être pouvons-nous voir dans l'installation qu'il nous présente dans le cadre d'ARTS CAPELLA la métaphore d'une immersion qui vous submerge tout en nous conviant à marcher dans l'aventure avec ces 12 paires de jambes en l'air, qui semblent s'égarer dans l'inconnu. 

Précisément, il s'agit bel et bien d'une mise en jambes : l'information nous fait marcher, courir même, les grandes messes de l'art contemporain aussi... alors la comparaison entre l'artiste et le journaliste est tentante : tous deux sont aux prises entre l'équilibre et l'aventure, entre ce qui est visible et invisible. Ils déroulent une histoire, constituent la trame d'une œuvre, d 'un article, d'une émission...

C'est ce que raconte cette installation : en dessous des jambes, c'est le vertige de l'océan. On voit une marée de journaux, un flux et reflux de mots très visibles qui tapissent le sol de cette chapelle sous le regard -que nous espèrons indulgent- de Dieu à l'égard des maux de notre société.

Livré à la contemplation dans le silence de ce sanctuaire, le visiteur aura le temps de méditer sur la part d'aventure et celle d'équilibre inhérente aux métiers de journaliste et d'artiste. L'un et l'autre ne savent pas forcément au départ où ils vont ; Le journaliste qui enquête pose une question à laquelle il n'a pas de réponse et l'artiste, sismographe de la société, traduit en images formes, volumes, sons et lignes, avec son écriture et le langage de son époque, les interrogations du monde en devenir.

Acteurs de la société, le journaliste et l'artiste s' affrontent au réel, et confrontent le visible (le travail produit)  avec l'invisible :  la trame de la démarche de l'artiste explicitée par un texte  ; Le travail effectué dans l'ombre par le journaliste avec ses sources, ses recherches, pour produire, lui aussi un texte.

L'invisible ici pour Sainte Fauste, ce sont la tête et le tronc humain, présents dans l'absence.  N'est-ce pas une belle image pour symboliser le risque encouru par les aventuriers actuels, ceux qui traquent l'information -et parfois la tronquent- les journalistes et les artistes qui traquent -et parfois se détraquent jusqu'à n'en plus pouvoir- le questionnement ?

Le journaliste et l'artiste entrent dans la danse, souvent en quête d'absolu. Leur cheminement est parsemé d'embûches : la tentation est grande de sacrifier l'aventure à l'équilibre.

Au bout de ce chemin que reste-t-il sinon sa vérité plutôt que la vérité et le doute plutôt que les certitudes ?

Certains trouvent l'équilibre dans le compromis qui peut mener au renoncement. Pour le journaliste, l'autocensure peut devenir le masque légitime de la censure parée des atours de la déontologie et de la responsabilité ; pour l'artiste, s'il fait partie des trois quart des 80 000 artistes qui en France ont un revenu moyen de 400 euros, céder aux goûts du plus grand nombre peut le conduire à faire des concessions pour plaire et vendre. Il atteint l'équilibre financier au détriment de l’équilibre personnel. Par définition, l'artiste est un chercheur en avance sur son époque, donc forcement rarement compris du grand public. Jadis comme aujourd'hui, la prise de risque reste une aventure périlleuse. Il n'est que de voir les polémiques liées aux grands noms de l'art contemporain, Damien Hirst ou Jime Devoye pour n'en citer que deux. En tout état de cause les ambiguïtés et les paradoxes soulevés par  manifestations très médiatisées et controversées, comme les expositions d'artistes contemporains au Château de Versailles, peuvent être rapprochées des ambiguïtés liées à certaines révélations sur Internet  telle l'affaire Wikileaks.

Il existe des laboratoires où journalistes et artistes peuvent concilier, à défaut de les réconcilier, aventure et équilibre : Internet ouvre la porte à des francs-tireurs de l'information qui avec leurs blogs se mettent en danger (voir ce qui s'est passé en Libye notamment) tandis qu'au Japon les internautes font circuler des informations bien différentes de la version institutionnelle sur la centrale de Fukushima. L'aventure poussée au paroxysme c'est l'éclosion des rumeurs sur la toile (celle du net, pas celle de l'artiste), un autre danger incommensurable alors que la précipitation empêche tout recul.

Hubert Beuve Mery, fondateur du Monde avait à la bouche cette sage maxime : le scoop est l'ennemi de l'information.

Internet n'en demeure pas moins une aventure et surtout une révolution pour les journalistes et pour les artistes. Votre serviteur avait créé en 1997 une rubrique « En direct d'Internet » dans feu le quotidien « Le journal de Genève », pour lancer le reportage en ligne. (Il s'agissait de décrypter les contenus d'Internet). A l'époque je passais pour une extraterrestre. Depuis, le marché de l'art a même créé des ventes aux enchères virtuelles. Et les artistes inventent à plusieurs d'autres façons de concevoir l'art. Et une autre écriture avec l'hypertexte qui mélange images, sons et textes.

Philippe Sainte Fauste avec sa proposition se mue en chaînon manquant entre le journaliste et l'artiste. « On parle de moi dans le journal »  est un projet de séances d'animation pour les jeunes des écoles de la commune à l'occasion de cette manifestation culturelle, propre à réveiller  chez l'enfant l'artiste et le journaliste qui sommeillent en lui et ne demandent qu'à se réveiller.

Muni de feutres et de crayons de couleurs et de journaux ; Ouest france, Le Télegramme..... chaque

enfant sera invité à dessiner ou écrire sur une page du journal une histoire personnelle qu'il souhaite faire paraître dans le journal. Chaque œuvre sera signée ensuite les pages seront froissées pour faire de grosses boulettes.

Le symbole est aussi ici patent, mais de la boulette physique à la « boulette » journalistique, véritable cauchemar des professionnels de l'information, il n'y a aucun pas à franchir. Les boulettes des enfants disposées au sol complèteront l'installation : Il  en faut 1200  pour atteindre l'équilibre et couvrir tout le sol de la chapelle. Quant à savoir ce qu'il adviendra des boulettes des enfants, artistes et journalistes en herbe, c'est une autre histoire, guidée par l'aventure de l'interactivité, et  qui peut  faire  peut-être perdre la boule aux plus grands.

Brigitte CAMUS Journaliste/Auteure/Artiste

à paraître au Livre d'art : « Artiste plasticien, mode d'emploi ».